Hraban Luyat

Dans le monde du théâtre, les acteurs portent souvent de nombreux masques, à la fois littéralement et métaphoriquement. Hraban Luyat connaît bien ce concept. Avec une carrière qui s’étend sur plusieurs continents et un répertoire riche en rôles divers, Hraban conquiert les cœurs grâce à son talent, son travail acharné et son dévouement. Mais derrière les performances, qui est vraiment Hraban Luyat ? Dans cette interview, nous cherchons à lever le voile et à découvrir l’homme derrière les personnages, en explorant son parcours, ses inspirations et les moments du quotidien qui le façonnent en tant qu’artiste et humain.

Quelle a été ta première expérience avec le théâtre, et comment a-t-elle influencé ton parcours en tant qu’artiste ?

J’ai toujours été intéressé par le théâtre, depuis mon plus jeune âge. Ma mère m’a emmené voir d’innombrables pièces, des spectacles pour enfants à Hamlet, dès mon plus jeune âge. Le théâtre a toujours été une passion pour moi, et bien que j’aie fait un léger détour par un domaine plus scientifique avant de m’y consacrer pleinement : je suis allé à l’université et j’ai obtenu une licence en informatique. Mais j’ai continué à regarder des pièces, à aller voir du théâtre dans ma ville, parce que c’est ainsi que j’ai été élevé, et cela m’a inévitablement ramené au théâtre. Je pense que si ma mère ne m’avait pas ouvert les yeux sur ce monde à un si jeune âge, je n’aurais jamais pensé à continuer à l’explorer et je ne serais jamais là où je suis aujourd’hui. En revanche, peut-être aurais-je été heureux en tant que développeur de logiciels, qui sait ! Oh attendez, je le sais ; non, je ne l’aurais pas été

Peux-tu partager un souvenir de ton enfance ou de ta jeunesse qui t’a marqué et qui influence encore aujourd’hui ta façon d’aborder ton art ?

Il y avait une représentation d’Hamlet que ma mère m’avait emmenée voir, pour la deuxième fois. C’était la dernière soirée, et les acteurs jouaient d’une manière complètement différente de la première fois où je les avais vus : beaucoup plus détendus, à l’aise, avec ce que je sais maintenant être « l’énergie de la dernière ». C’est là que, pour la première fois, j’ai été frappé par la réalité de tout cela. À quel point c’était dans l’instant.

À un moment donné, vers la moitié de la pièce, l’acteur jouant Hamlet se penche au-dessus de la première rangée de sièges du public, alors qu’il parle à un autre acteur positionné tout au fond de la salle. J’étais un enfant assez énergique (si tu peux le croire) et ce soir-là, je devais être particulièrement attentif, car alors qu’il est accroché à cette chaise, se penchant vers le public, écoutant son partenaire de jeu, il tourne soudainement légèrement la tête, me regarde droit dans les yeux et me fait un clin d’œil. Je suis resté complètement figé. Ils peuvent nous voir ? Je ne savais pas que c’était permis !

À cet instant, j’ai vraiment compris : c’est réel. Ce n’est pas enregistré, et ce n’est pas répété. C’est un homme réel qui a décidé, à cet instant précis, de faire ce qu’il voulait. Et personne ne pouvait l’en empêcher. C’était incroyable, et c’est une sensation de liberté que j’essaie de garder avec moi jusqu’à aujourd’hui : nous sommes les personnes qui vivons cela, pas les personnages, et nous sommes réels. Nous pouvons faire ce que nous voulons. Et nous devrions.

Tu as vécu dans plusieurs pays à travers l’Europe. Comment cette expérience internationale a-t-elle façonné ta vision du monde, tant sur le plan personnel que professionnel ?

J’aime l’Europe. C’est un continent magnifique qui a tout : culture, climat, nature extraordinaire et des villages les plus idylliques est historiques au monde. En particulier, mon séjour en France, dans les Alpes et sur la Méditerranée, m’a marqué. J’ai vécu dans des villages presque intacts depuis 200 ans, avec des traces de civilisation remontant à plus d’un millénaire. Je pense qu’être enfant dans un tel environnement te donne un certain sens de la durée, une impression de proximité avec les Romains, car au fond, ce n’était pas hier ? Sans oublier que c’est aussi là qu’ils vivaient réellement.

Dans ce contexte, les « classiques » (Shakespeare, tragédies grecques, etc.) ne m’ont jamais semblé très « classiques ». Ça aurait pu être toi et moi, exactement comme nous sommes maintenant, assis là à l’ombre d’un bâtiment ou d’un arbre. J’ai grandi là-bas. Ça ne devait probablement pas être très différent. J’ai vécu à Athènes et je voyais le Parthénon tous les jours. Ce sont tous des êtres humains, avec des traits et des émotions humaines.

Évidemment, je dois admettre que personnellement, j’ai parfois tendance à être trop décontracté avec cette attitude, mais heureusement un bon metteur en scène saura pointer précisément là où tu ne l’es pas. Un roi reste un roi, avec tout ce que cela implique. Mais c’est quelque peu réconfortant de savoir qu’ils vivaient là, juste comme nous le faisons maintenant, et que dans deux mille ans, quelqu’un fera semblant d’être nous sur leurs scènes interstellaires, et ils marcheront également dans ces rues tout comme nous le faisons.

Beaucoup d’acteurs parlent de trouver la vérité dans leur rôle. Qu’est-ce que ça signifie pour toi, la « vérité », que ce soit sur scène ou dans la vie ?

Un de mes mentors les plus influents, Lawrence Carmichael de « The Break-Up Autopsy », disait toujours : « Si tu es un acteur même moitié correct, tu appelleras ta mère chaque année en disant : ‹ Maman, cette fois-ci, je l’ai trouvé ! J’ai découvert le secret du métier. › Et chaque année, ce secret sera différent. » Jusqu’à présent, il a eu complètement raison. Donc, quelle que soit la réponse que je te donne maintenant, je suis sûr que l’année prochaine, je dirai que c’est la chose la plus idiote jamais dite.

Aujourd’hui, je pense que la Vérité en Acting, c’est d’être honnête par rapport à la possibilité d’échouer. D’admettre qu’on n’est pas à la hauteur. Qu’on n’incarne pas parfaitement ce personnage-là, qu’on ne raconte pas cette histoire de manière parfaite. Monter sur scène, rester là, et ne pas être parfaitement ce personnage. Ne pas être une copie conforme. Admettre que, malheureusement, une grande partie de toi a transpiré, une partie qui n’était pas « juste », qui n’était pas vraiment adéquate pour ce rôle, et c’est juste là. Et tu ne peux rien y faire. Voilà ce qu’est la vérité dans un rôle : admettre que tu n’es pas parfait pour ce rôle – personne ne l’est, mais ce soir, c’est toi qui es là, et le public est là, et le spectacle doit continuer, alors te voilà : c’est ce qu’il y a au menu.

Si tu peux trouver cette vérité sur qui tu es, alors tu peux trouver la vérité sur qui est ce personnage.

Il y a-t-il déjà eu un moment, peut-être pendant une répétition ou une performance, où tu as appris quelque chose de surprenant ?

Un moment récent qui m’a marqué s’est produit pendant *Moscow Moscow Moscow*, où j’ai eu l’honneur de travailler avec une légende du théâtre, Elizabeth Shepherd. Seule sa carrière cinématographique est déjà impressionnante, et si tu parcours sa page IMDB, tu risques une tendinite avant d’en voir le bout. Mais ce que moins de gens savent, c’est à quel point elle est également une actrice de théâtre accomplie. Elle a joué tous les rôles majeurs, elle est une source infinie de sagesse et de connaissance en matière de Shakespeare, c’est une véritable actrice pour les acteurs.

Et pourtant, elle était là : sans la moindre arrogance, sans une once de prétention, se présentant à chaque répétition avec assiduité, sans jamais se plaindre. Elle a plus de 80 ans ! Et elle travaillait plus dur que n’importe qui sur son rôle. Et le public l’a absolument adorée. À chaque répétition, littéralement à chacune de ses répliques, on éclatait de rire. Elle est humble, assidue, travailleuse, et incroyablement modeste.

C’était une vraie leçon d’humilité. On entend souvent parler d’acteurs qui ont la grosse tête, que tous ceux qui sont au sommet sont supposément des divas insupportables, mais les vraies légendes, celles qui travaillent sans faire de vagues, on en entend beaucoup moins parler.

Une masterclass en professionnalisme intemporel. Et en acting, bien sûr !

En repensant à ton parcours jusqu’à présent, y a-t-il un moment particulier ou un tournant qui se démarque comme étant décisif dans ton développement en tant qu’acteur et en tant que personne?

Interpréter le roi Charles VI de France dans Henri V. Cette production était unique en son genre : tout le travail de répétition se faisait en solitaire pendant deux mois, et les acteurs ne se rencontraient que trois jours avant la première. Même alors, nous n’avons jamais réellement répété la pièce ensemble. L’idée, c’était que la première fois que tu joues la pièce, c’est devant un public. Il fallait donc venir aussi préparé que possible, avoir confiance, se livrer entièrement et y aller.

Incroyable. Il n’y avait pas moyen de « faire semblant » : tout le monde écoutait les autres acteurs comme si leur vie en dépendait, parce que c’était presque le cas : tu n’avais aucune idée de ce à quoi leur voix ressemblerait, comment ils donneraient leurs répliques, quand cela arriverait. Et c’est du Shakespeare ! Donc pas d’improvisation possible sur les répliques. Il fallait connaître les mots, c’était impératif. Le public le savait, donc il était incroyablement impliqué ; il savait que c’était aussi nouveau pour nous que pour lui. C’était une expérience complètement différente de tout ce que j’ai jamais fait.

Cela a radicalement changé ma façon d’aborder le travail. Une fois que c’était fini, je me souviens avoir dit à mon bon ami Iain (qui faisait aussi partie du spectacle) : « Si tu peux faire ça, tu peux tout faire. » À ce jour, je considère toujours que c’est la chose la plus difficile que j’aie jamais faite sur scène.

Quelque chose à ton sujet qui surprendrait les gens, un aspect de toi que l’on ne voit pas souvent en public?

Je suis actif dans la communauté des logiciels Open Source. En ce moment, je m’amuse avec une technologie incroyablement ésotérique appelée Nix. C’est vraiment intéressant et, en tant que passe-temps, cela comble un besoin qui reste totalement insatisfait dans une vie consacrée principalement à l’art. Souvent, je parviens à mélanger cela avec l’art de manière innovante ; bien sûr, il s’agit surtout d’aider mes collègues acteurs avec l’administration et la tech, mais aussi d’utiliser la technologie de façon cool lors des performances. Il y a une grande demande pour des compétences techniques dans le monde de l’art !

Que souhaites-tu que le public retienne de tes performances ?

Ma réaction idéale du public est en fait assez peu conventionnelle : un sentiment de défaite totale. Si quelqu’un vient me voir et me dit « J’avais vraiment perdu tout espoir pour ton personnage », alors je me sens avoir accompli mon travail. Peut-être parce que, quand je regarde quelque chose moi-même, je n’aime pas qu’on me dise pour quoi espérer. C’est un peu déprimant, mais aussi très beau. Et si tu traverses ce moment de désespoir ensemble, alors une révélation éventuelle d’un « plan » ou d’une « solution » dans le troisième acte peut en être d’autant plus gratifiante.

Comment définis-tu le succès pour toi-même, et cette définition a-t-elle évolué avec le temps ?

Une famille qui t’aime et au moins une fille adolescente qui te trouve cool. Ça semble être la tâche la plus difficile au monde, mais à vrai dire je suis convaincu que je peux y arriver. Non, je plaisante pour la dernière partie, mais je veux vraiment dire que la notion de célébrité ou de rémunération financière comme mesure de succès est largement surestimée. Avoir la paix avec ton travail, l’autonomie sur ce que tu fais et en être fier, que pourrais-tu vouloir de plus?

En regardant vers l’avenir, y a-t-il des rôles de rêve ou des projets que tu as hâte de réaliser ?

Je suis extrêmement enthousiaste de travailler sur Rhinocéros avec ma collègue de longue date et actrice exceptionnelle, Elena Lozonschi. C’est un classique du théâtre intemporel, et les thèmes abordés sont très pertinents par rapport à la situation actuelle. Et bien sûr, PhysFest revient en janvier; je suis vraiment impatient d’y participer à nouveau ! Je ne peux pas attendre. Et Living Radio, chaque mois ! La saison ne peut pas commencer assez tôt. Il y a aussi beaucoup de pièces prévues pour les saisons à venir, mais je ne peux pas encore en parler ouvertement. Reste branché !

Où peut-on te trouver / te contacter ?

Je suis sur Instagram : @hrabanluyat. Dis bonjour et parlons théâtre.

 

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